lundi 25 juin 2007

Arrêt CCLUX 2404

COUR CONSTITUTIONNELLE DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG

Arrêt no 24/04 du 03.12.2004

Numéro 00024 du registre.

Audience publique du vendredi, trois décembre deux mille quatre.

Composition:

  • Madame Marion Lanners, vice-présidente,
  • Monsieur Marc Schlungs, conseiller,
  • Madame Andrée Wantz, conseillère,
  • Monsieur Roland Schmit, conseiller,
  • Monsieur Jean-Mathias Goerens, conseiller
  • Madame Lily Wampach, greffier.

Entre:

L'ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE LUXEMBOURG, représenté par son bâtonnier actuellement en fonctions,
demandeur,
comparant par Maître Marc Thewes, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg,

et:

Maître Jos Stoffel, avocat à la Cour, demeurant à L-2018 Luxembourg, 8, rue Willy Goergen,
défendeur,
comparant par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg.


LA COUR CONSTITUTIONNELLE

Ouï Madame la vice-présidente Marion Lanners en son rapport;

Vu l'arrêt de renvoi no 4/04 du Conseil disciplinaire et administratif d'appel des avocats contradictoirement rendu le 25 mai 2004;

Sur les conclusions de Jos Stoffel, avocat à la Cour, déposées le 14 juin 2004, les conclusions de l'Ordre des Avocats du Barreau de Luxembourg déposées le 18 juin 2004 et les conclusions additionnelles de Jos Stoffel déposées les 25 et 30 juin 2004;

Considérant que, dans le cadre d'une poursuite disciplinaire dirigée contre Maître Jos Stoffel, la Cour Constitutionnelle a été saisie par le conseil disciplinaire et administratif d'appel des ordres des avocats des questions préjudicielles suivantes:
«L'article 17, premier tiret, de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d'avocat est-il conforme à l'article 14 de la Constitution?»
dans l'affirmative,
«L'article 27 de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d'avocat est-il conforme à l'article 14 de la Constitution?»

Sur la saisine de la Cour Constitutionnelle:

Considérant que, d'après le Conseil de l'Ordre, les juridictions disciplinaires instituées par la loi sur la profession d'avocat ne seraient pas concernées par l'article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle comme ne ressortissant ni à l'ordre judiciaire ni à l'ordre administratif;

Considérant que d'après l'article 95(ter) 2e alinéa de la Constitution, la Cour Constitutionnelle est saisie par toute juridiction des questions de conformité préjudicielles y visées;
Que dès lors l'exception d'irrecevabilité tirée de l'article 6 de la loi précitée du 27 juillet 1997 n'est pas fondée;

Quant à la première question:

Considérant que l'article 17, premier tiret, de la loi du 10 août 1991 sur la profession d'avocat énonce que «le Conseil de l'Ordre est chargé de veiller à la sauvegarde de l'honneur de l'Ordre, de maintenir les principes de dignité, de probité et de délicatesse qui forment la base de la profession d'avocat et les usages du barreau qui les consacrent»;

Considérant que l'article 14 de la Constitution aux termes duquel «nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu'en vertu de la loi» ne saurait affecter ladite disposition légale énumérant une partie des attributions des Conseils de
l'Ordre parmi lesquelles ne figurent ni le pouvoir de l'établissement des peines ni celui de leur application;

Quant à la seconde question:
Considérant que l'article 27 de la loi précitée du 10 août 1991 est de la teneur suivante:
«(1) Le Conseil disciplinaire et administratif peut, suivant l'exigence des cas, prononcer les sanctions suivantes:
1) l'avertissement
2) la réprimande
2bis) (L.31 mai 1999) l'amende inférieure à 500 euros;
3) l'amende de 500 euros à 5.000 euros;
4) la suspension de l'exercice de la profession pour un terme qui ne peut excéder cinq ans;
5) l'interdiction à vie de l'exercice de la profession.
(2) La peine de la suspension peut être assortie du sursis pour tout ou partie de sa durée. Le bénéfice du sursis est perdu si le condamné fait l'objet d'une nouvelle peine de suspension pour un fait se situant dans les cinq ans du fait qui a donné lieu à la peine de suspension assortie du sursis.
(3) Le Conseil disciplinaire et administratif peut ordonner l'affichage aux lieux qu'il indique et la publication, totale ou partielle, de sa décision dans un ou plusieurs journaux ou périodiques aux frais du condamné.
(4) L'avocat suspendu ou interdit doit s'abstenir de tout acte de profession d'avocat au sens de l'article 2 paragraphes (1) et (2) à dater du jour où la décision est passée en force de chose jugée, à moins que le Conseil n'ait, par décision motivée, ordonné l'exécution provisoire de la décision ou fixé la date du début de l'exécution.
(5) (L. 18 août 1995) Le recours d'un avocat omis du tableau n'aura point d'effet suspensif, s'il n'en est autrement décidé par le conseil disciplinaire et administratif, saisi par lettre recommandée dans le délai de quarante jours à partir soit de la remise, soit de la signification, soit de l'envoi de la décision d'omission opérés selon l'un des modes prescrits à l'article 26(6).»

Considérant qu'en droit disciplinaire la légalité des peines suit les principes généraux du droit pénal et doit observer les mêmes exigences constitutionnelles de base;

Considérant que le principe de la légalité de la peine entraîne la nécessité de définir les infractions en termes suffisamment clairs et de préciser le degré de répression pour en exclure l'arbitraire et permettre aux intéressés de mesurer exactement la portée de ces dispositions; que le principe de la spécification est le corollaire de celui de la légalité de la peine consacrée par l'article 14 de la Constitution;

Considérant cependant que le droit disciplinaire tolère dans la formulation des comportements illicites et dans l'établissement des peines à encourir une marge d'indétermination sans que le principe de la spécification de l'incrimination et de la peine n'en soit affecté, si des critères logiques, techniques et d'expérience professionnelle permettent de prévoir avec une sûreté suffisante la conduite à sanctionner et la sévérité de la peine à appliquer;

Considérant que, sans préjudice d'autres textes légaux afférents, le chapitre V de la loi précitée du 10 août 1991 énumératif des droits et des devoirs des avocats est à mettre en rapport avec l'article 27 de la même loi en ce qu'il lui fournit l'élément d'incrimination requis par l'article 14 de la Constitution et le rend ainsi conforme à celle-ci.


Par ces motifs:

dit que l'article 17, premier tiret de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d'avocat n'est pas affecté par l'article 14 de la Constitution,

dit que l'article 27 de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d'avocat est conforme à l'article 14 de la Constitution,

ordonne que dans les trente jours de son prononcé l'arrêt soit publié au Mémorial, Recueil de législation;

ordonne que l'expédition du présent arrêt soit envoyée par le greffe de la Cour Constitutionnelle au Conseil disciplinaire et administratif d'appel des avocats du Grand-Duché de Luxembourg dont émanait la saisine et qu'une copie certifiée conforme soit envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.

Prononcé en audience publique par Nous Marion Lanners, vice-présidente de la Cour Constitutionnelle, date qu'en tête.

La vice-présidente Le Greffier
Marion Lanners Lily Wampach