lundi 25 juin 2007

Arrêt CCLUX 1202

COUR CONSTITUTIONNELLE DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG

Arrêt n° 12/02 du 22.03.2002

Numéro 00012 du registre.

Audience publique du vendredi, vingt-deux mars deux mille deux.

Composition:
  • Monsieur Georges Kill, vice-président,
  • Monsieur Marc Schlungs, conseiller,
  • Madame Marie-Paule Engel, conseillère,
  • Madame Léa Mousel, conseillère,
  • Madame Marion Lanners, conseillère,
  • Madame Lily Wampach, greffier.


Entre
Dr Pierre STEIN, médecin, demeurant à Luxembourg, 2, avenue Pescatore,
demandeur,
comparant par Maître Marc Elvinger, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg,

et:

l’Union des Caisses de maladie, dont le siège est à Luxembourg, représentée par le président de son conseil d’administration, Monsieur Robert Kieffer, demeurant à Luxembourg,
défenderesse
comparant par Maître Albert Rodesch, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg,


LA COUR CONSTITUTIONNELLE

Ouï Monsieur le conseiller Marc Schlungs en son rapport et sur les conclusions de l’Union des Caisses de maladie déposées au greffe de la Cour le 13 décembre 2001 et celles, initiales et additionnelles du Dr Pierre Stein y deposées les 17 décembre 2001 et 14 janvier 2002;

Vu l’arrêt rendu le 8 novembre 2001 par le Conseil supérieur des assurances sociales et transmis au greffe de la Cour le 12 novembre 2001;

Considérant que le Conseil supérieur des assurances sociales, saisi par le recours du Dr STEIN contre un jugement du conseil arbitral des assurances sociales ayant condamné le médecin préqualifié à diverses sanctions pour deviation injustifiée de son activité médicale, a soumis à la Cour Constitutionnelle les questions suivantes:
I) Questions relatives à la conformité à l’article 14 de la Constitution de la disposition transitoire de l’article 13 de la loi du 18 mai 1999 ayant pour objet de modifier le code des assurances sociales.
a) «est-ce que l’article 14 de la Constitution, consacrant le principe de la légalité des peines, implique aussi le principe de la rétroactivité in mitius?»;
et si cette question appelle une réponse affirmative,
b) «est-ce que l’article 14 de la Constitution, en ce qu’il renferme le principe de la rétroactivité in mitius, s’applique aussi aux peines prévues par l’article 73 et à la disposition de l’article 341, alinéa 2, point 5, du code des assurances sociales, réformés par la loi du 18 mai 1999 ayant pour objet de modifier le code des assurances sociales.»
II) Questions relatives à la conformité à l’article 14 de la Constitution de l’incrimination de la «déviation injustifiée» visée à l’article 73 du code des assurances sociales.
a) est-ce que l’article 14 de la Constitution, consacrant le principe de la légalité des peines, comprend aussi le principe de la spécification de l’incrimination?»;
et si cette question appelle une réponse affirmative,
b) «est-ce que l’article 14 de la Constitution, consacrant le principe de la légalité des peines, impose aussi le principe de la spécification de l’incrimination de la «déviation injustifiée de l’activité professionnelle du prestataire de soins» visée par l’article 73 du code des assurances sociales»?
en cas de réponse affirmative à la question sub II), b) et en cas de réponse négative à la question posée supra I, a)
ou sub I, b),
«est-ce que l’article 73 du code des assurances sociales, introduit par la loi du 27 juillet 1992 portant réforme de l’assurance maladie et du secteur de la santé, est conforme à l’article 14 de la Constitution en ce qu’il incrimine comme il le fait la «déviation injustifiée de l’activité professionnelle du prestataire de soins» et édicte des sanctions à l’encontre des prestataires qui ont commis une pareille déviation?»,
en cas de réponse affirmative à la question posée sub II) b) et en cas de réponse affirmative à la question posée supra sub I), b),
«est-ce que l’article 73 du code des assurances sociales, tel que réformé par la loi du 18 mai 1999 ayant pour objet de modifier le code des assurances sociales, est conforme à l’article 14 de la Constitution en ce qu’il incrimine comme il le fait la «déviation injustifiée de l’activité professionnelle du prestataire de soins» et édicte des sanctions à l’encontre des prestataires qui ont commis une pareille déviation, compte tenu de ce que, conformément à l’article 341, alinéa 2, point 5, du code des assurances sociales, les modalités selon lesquelles les rapports d’activité des médecins et médecins dentistes sont établis doivent être arêtés dans les conventions visées à l’article 61 du même code?»;

Considérant que l’article 14 de la Constitution énonce que «nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu de la loi»;
qu’il ressort de ce texte que pour être prononcée une peine doit être prévue par la loi, tant par son existence que par son taux de sévérité, et au jour de la commission du fait et à celui de la décision qui l’inflige;
d’où il suit que le principe de la légalité des peines consacré par l’article 14 de la Constitution implique celui de la rétroactivité de la peine la plus douce;

Considérant qu’en droit disciplinaire la légalité des peines suit les principes généraux du droit pénal et doit en observer les mêmes exigences constitutionnelles de base; que le principe de la rétroactivité in mitius s’applique dès lors à l’article 73 du code des assurances sociales pour autant qu’il édicte des peines et non pas des réparations de préjudice;
qu’il n’affecte cependant pas l’article 341,2,5 du même code qui ne participe ni à la définition du comportement fautif à réprimer ni à la sanction à appliquer;

Considérant que le principe de la légalité de la peine entraîne la nécessité de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour en exclure l’arbitraire et permettre aux intéressés de mesurer exactement la nature et le type des agissements sanctionnables; que le principe de la spécification de l’incrimination est partant le corollaire de celui de la légalité de la peine consacrée par l’article 14 de la Constitution;

Considérant que l’article 73 du code des assurances sociales prévoit du moins en partie des punitions; que l’infraction de la «déviation injustifiée de l’activité professionnelle du prestataire de soins» gisant à la base de ces pénalités est soumise au principe de la spécification de l’incrimination;

Considérant que la déviation injustifiée sanctionnée par l’article 73 du code des assurances sociales est déterminée par des critères tirés de la loi et des dispositions conventionnelles conclues en exécution de l’article 61 du code des assurances sociales;
que d’après l’article 64,2,2 du code des assurances sociales la convention pour les médecins doit garantir une médication économique compatible avec l’efficacité du traitement conforme aux données acquises par la science et à la déontologie médicale;
que selon l’article 76 de la convention les prestations à charge de l’assurance maladie ne peuvent dépasser l’utile et le nécessaire et que les médecins d’engagent à faire un bon usage des soins en s’attachant à faire correspondre au mieux les actes médicaux et les prescriptions à l’état de chaque malade;
que l’infraction incriminée se détermine dès lors par l’abus incompatible avec une médication raisonnable par rapport au besoin du traitement;

Considérant qu’une marge d’indétermination dans la formulation de comportements illicites n’affecte pas le principe de la spécification de l’incrimination si comme en l’espèce leur concrétisation peut raisonnablement se faire grâce à des critères logiques, techniques et d’expérience professionnelle qui permettent de prévoir avec une sûreté suffisante les caractéristiques essentielles des conduites constitutives de l’infraction visée;

D’où il suit que l’article 73 du code des assurances sociales, tel que modifié par la loi du 18 mai 1999 n’est actuellement pas contraire à l’article 14 de la Constitution.

PAR CES MOTIFS:

dit que l’article 14 de la Constitution implique le principe de la rétroactivité de la loi la plus favorable;

dit que ce principe s’applique aux peines prévues par l’article 73 du code des assurances sociales et non pas à l’article 341,2,5 du même code;

dit que l’article 14 de la Constitution implique le principe de la spécification de l’incrimination;

dit que ce principe s’applique à la «déviation injustifiée de l’activité professionnelle du prestataire de soins»;

dit que sur base des modalités actuelles de la détermination de la «déviation injustifiée de l’activité professionnelle des prestataires de soins» l’incrimination et les peines prévues à l’article 73 du code des assurances sociales ne sont pas contraires à l’article 14 de la Constitution;

ordonne que dans les trente jours de son prononcé l’arrêt soit publié au Mémorial, Recueil de législation;

ordonne que l’expédition du présent arrêt soit envoyée par le greffe de la Cour Constitutionnelle au Conseil supérieur des assurances sociales dont émanait la saisine et qu’une copie certifiée conforme soit envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.

Prononcé en audience publique par Nous Georges Kill; vice-président de la Cour Constitutionnelle, date qu’en tête.

Le vice-président, Le greffier,
Georges Kill Lily Wampach