lundi 25 juin 2007

Arrêt CCLUX 2104

COUR CONSTITUTIONNELLE DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG

Arrêt n° 21/04 du 18.06.2004

Numéro 00021 du registre.

Audience publique du vendredi, dix-huit juin deux mille quatre.


Composition:

  • Monsieur Marc THILL, président,
  • Madame Marion LANNERS, vice-présidente,
  • Monsieur Marc SCHLUNGS, conseiller,
  • Madame Léa MOUSEL, conseillère,
  • Monsieur Roland SCHMIT, conseiller,
  • Madame Lily WAMPACH, greffier.

Entre:

Madame Valerija BERDI, chargée de cours, demeurant à L-1263 Luxembourg, 8, rue Aristide Briand,
demanderesse,
comparant par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg,

et:
l'Administration Communale de la Ville de Luxembourg, représentée par son bourgmestre actuellement en fonctions et pour autant que de besoin par son collège des bourgmestre et échevins en fonction, Hôtel de Ville, L-2090 Luxembourg,
défenderesse,
comparant par Maître Louis BERNS, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg,


LA COUR CONSTITUTIONNELLE:

Ouï Madame le conseiller Léa MOUSEL en son rapport;
Vu le jugement de renvoi du tribunal administratif contradictoirement rendu le 19 janvier 2004;

Sur les conclusions de Valerija BERDI déposées le 20 février et le 25 mars 2004 et sur les conclusions de l'administration communale de la Ville de Luxembourg déposées le 20 février et le 22 mars 2004;

Considérant que le tribunal administratif, saisi d'un recours contre le refus de la Ville de Luxembourg d'inscrire Valerija BERDI sur les listes électorales établies en vue du renouvellement de la délégation des fonctionnaires et employés de la Ville de Luxembourg, a posé la question préjudicielle suivante:
«L'article 1er de la loi modifiée du 18 mai 1979 portant réforme des délégations du personnel et l'article 43, points 5 et 9, de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, combinés, sinon pris isolément, sont-ils conformes aux articles 10bis et 11(5) de la Constitution combinés, sinon pris individuellement?»;

Considérant que l'article 1er de la loi modifiée du 18 mai 1979 portant réforme des délégations du personnel est de la teneur suivante en son point 1: «Tout employeur du secteur privé est tenu de faire désigner les délégués du personnel dans les établissements occupant régulièrement au moins 15 travailleurs liés par contrat de louage de services quelles que soient la nature de ses activités et sa forme juridique. Il en est de même pour tout employeur du secteur public occupant régulièrement au moins 15 ouvriers liés par contrat de louage de services.»

Considérant que l'article 43 de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux est conçu en ses points 5 et 9 comme suit:
«5. Le nombre des membres des délégations du personnel est fixé en raison de l'effectif total des fonctionnaires dans chaque commune en service au premier janvier précédant l'élection des délégations.
a) les fonctionnaires en activité de service;
b) les fonctionnaires en service provisoire;
c) les vacances de poste telles qu'elles sont définies par la législation sur les traitements;
d) les employés bénéficiant du statut d'employé (ainsi modifié par la loi du 9 juin 1995) communal.
9. Sont électeurs tous les fonctionnaires, fonctionnaires en service provisoire et employés bénéficiant du statut d'employé
communal en service auprès de la commune depuis au moins six mois au jour de l'élection. Sont éligibles tous les fonctionnaires nommés à titre définitif âgés de plus de vingt et un ans et en service depuis plus d'une année auprès de la commune au jour de l'élection. Sont également éligibles les employés bénéficiant d'un statut d'employé (ainsi modifié par la loi du 9 juin 1995) communal depuis plus de deux ans et âgés de vingt et un ans au jour de l'élection.»

Considérant que la Constitution stipule à l'article 10bis:
«1) Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi.»
et à l'article 11:
«5) La loi ... garantit les libertés syndicales.»;

Considérant que la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, en ce qu'elle règle dans son article 43, points 5 et 9, la représentation des fonctionnaires et employés communaux sur la base de leur statut légal, est étrangère au problème de la non-représentation des employés privés engagés par la commune en vertu de contrats individuels, ces deux situations n'étant pas comparables;

Considérant que d'après l'économie de l'article premier de la loi du 18 mai 1979 portant réforme des délegations du personnel, les ouvriers liés par un contrat de louage de service à un employeur du secteur public peuvent prétendre à une représentation active et passive au sein de l'organisme public qui les emploie tandis que le texte est muet quant aux droits des salariés engagés en qualité d'employés privés dans le même secteur;

Considérant que le législateur peut, sans violer le principe constitutionnel de l'égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents à la condition que la disparité soit objective, qu'elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but;

Considérant que les deux catégories de salariés, ouvriers et employés privés, se trouvent dans une situation comparable de dépendance et de subordination contractuelles;

Considérant que la seule disparité objective entre les salariés engagés en qualité d'ouvriers et les salariés engagés en qualité d'employés privés résidant dans la nature du travail à accomplir ne justifie pas rationnellement la différence de traitement au regard de la finalité de la loi du 18 mai 1979 telle qu'elle est exprimée en son article 10 et qui confère à la délégation du personnel une mission de sauvegarde et de défense tant générale que spécifique de ceux qu'elle représente;

Considérant dès lors que le législateur, en n'incluant pas dans l'effectif visé au deuxième alinéa de l'article 1er de la loi de 1979 les salariés engagés par un employeur du secteur public en qualité d'employés privés, a créé une inégalité, se heurtant à l'article 10bis de la Constitution;

Considérant qu'eu égard à la réponse à donner à la première branche de la question, il n'y a plus lieu d'examiner la conformité de l'article 1er de la loi du 18 mai 1979 par rapport à l'article 11(5) de la Constitution;


Par ces motifs:

dit que l'article 1er de la loi du 18 mai 1979 sur les délégations du personnel, pris isolément, est non conforme, en son deuxième alinéa, à l'article 10bis de la Constitution, pris individuellement;

ordonne que dans les trente jours de son prononcé l'arrêt soit publié au Mémorial, Recueil de législation;

ordonne que l'expédition du présent arrêt soit envoyée par le greffe de la Cour Constitutionnelle au tribunal administratif dont émanait la saisine et qu'une copie certifiée conforme soit envoyée aux parties en cause devant cette
juridiction.

Prononcé en audience publique par Nous Marc THILL, président de la Cour Constitutionnelle, date qu'en tête.

Le president Le Greffier
Marc Thill Lily Wampach