lundi 25 juin 2007

Arrêt CCLUX 1904

COUR CONSTITUTIONNELLE DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG

Arrêt n° 19/04 du 30 janvier 2004

Numéro 00019 du registre.

Audience publique du vendredi, trente janvier deux mille quatre.


Composition:
  • Monsieur Marc Thill, président,
  • Madame Marion Lanners, vice-présidente,
  • Monsieur Marc Schlungs, conseiller,
  • Madame Marie-Paule Engel, conseillère,
  • Madame Léa Mousel, conseillère,
  • Madame Lily Wampach, greffier.


Entre:

1) l'association momentanée TRACOL S.A. - CLEMENS MEERFELD e.K. - KÖLNER MARMORWERKE GmbH - GRANIT - MARMORWERKE ENGELHARDT, établie à L-2177 Luxembourg,
10, rue Nic Majerus, représentée
par son mandataire sub 2) sinon subsidiairement par tous ses associés énumérés ci-dessous sub 2) à 5)

2) la société anonyme TRACOL S.A., établie et ayant son siège social à L-2177 Luxembourg, 10, rue Nic Majerus, inscrite au registre de commerce du Luxembourg sous le n° B 14.875, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, agissant tant en son nom propre qu'en sa qualité de mandataire de la prédite association momentanée comme encore en sa qualité d'associé de cette dernière,

3) Monsieur Clemens Meerfeld e.K., entrepreneur, demeurant à D-54570 Wallenborn, 3, Tuchwiese, inscrit au registre de commerce sous le n° 10HRA1379,

4) la société à responsabilité limitée de droit allemand KÖLNER MARMORWERKE GmbH, établie et ayant son siège social à D-51069 Cologne, Bergisch Gladbacherstrasse n° 1067-1069, représentée par son gérant actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce sous le n° B 1.094,

5) la société à responsabilité limitée de droit allemand GRANIT + MARMORWERKE ENGELHARDT GmbH, établie et ayant son siège social à D-86650 Wemding, 1 Harburger Strasse, représentée par son gérant actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce sous le n° B 11.458,
demanderesses,
comparant par Maître Gerry Osch, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg,

et:

l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg, représenté par son Ministre d'Etat à L-1352 Luxembourg, 4, rue de la Congrégation,
défendeur,
comparant par Maître Patrick Kinsch, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg,


LA COUR CONSTITUTIONNELLE

Vu le jugement rendu le 26 juin 2003 par le tribunal administratif et transmis le 30 juin 2003 au greffe de la Cour Constitutionnelle;

Ouï Monsieur le conseiller Marc Schlungs en son rapport et sur les conclusions de l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg (désigné ci-après ETAT) déposées le 28 juillet 2003 au greffe de la Cour Constitutionnelle;

Vu les conclusions déposées le 28 juillet 2003 au greffe de la Cour Constitutionnelle par Maître Patrick Kinsch pour et au nom de l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg;

Vu les conclusions déposées le 2 octobre 2003 au greffe de la Cour par Maître Gerry Osch pour et au nom des membres de l'association momentanée TRACOL S.A. - CLEMENS MEERFELD e.K. - KÖLNER MARMORWERKE GmbH - GRANIT - MARMORWERKE ENGELHARDT lesquelles peuvent être prises en considération eu égard à la finalité des dispositions de l'article 10 alinéa 3 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle telle qu'elle se dégage de l'avis du Conseil d'Etat et du rapport de la Commission des institutions et de la révision constitutionnelle (Doc. parl. 42186 p. 7 et 42189 p. 12)

Ecartant pour cause de tardiveté les conclusions additionnelles déposées au greffe de la Cour les 7 novembre et 2 décembre 2003 par les mandataires respectifs prédésignés;

Considérant que le tribunal administratif, après s'être déclaré compétent pour connaître d'un recours en annulation introduit par TRACOL pour autant qu'il vise le volet d'un arrêté ministériel du 6 juin 2002 portant exclusion de TRACOL pour la durée de six mois de la participation aux marchés publics initiés par L'ETAT, avant de statuer sur les moyens de nullité invoqués par les demandeurs contre ladite décision a soumis à la Cour Constitutionnelle les questions principale et ampliative suivantes:
«Est-ce que l'article 14 de la Constitution, consacrant le principe de la légalité tant au regard de l'existence que de celui du taux de sévérité des peines, s'applique aussi aux sanctions prévues par l'article 36,5° de la loi du 27 juillet 1936 concernant la comptabilité de l'Etat ?»
et en cas de réponse affirmative, sur la question additionnelle:
«Est-ce que l'article 36,5° de la loi précitée du 27 juillet 1936 est conforme à l'article 14 de la Constitution en ce qu'il édicte une sanction sans prévoir de durée maximum ?»

Considérant que l'article 14 de la Constitution énonce que «nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu'en vertu de la loi»;

Considérant que l'article 36, 5° de la loi modifiée du 27 juillet 1936 concernant la comptabilité de l'Etat dispose que «Les cahiers des charges peuvent avoir des clauses pénales adaptées à la nature et à l'importance des marchés. Ces clauses peuvent comprendre des amendes et des astreintes, la résiliation du marché ainsi que l'exclusion à temps de la participation aux marchés publics. Au même titre des primes d'achèvement des travaux avant terme peuvent être prévues.»

Considérant que les clauses pénales sont des accords sur des indemnisations forfaitaires en cas d'inexécution d'obligations principales; qu'exprimées sous forme d'astreinte ou d'amende conventionnelle, elles sont de nature purement civile et ne constituent pas des peines au sens de l'article 14 de la Constitution;

Considérant que la résiliation du marché n'est pas une pénalité en soi mais une décision de rupture des liens contractuels entre parties;

Considérant par contre que l'exclusion même à temps de la participation aux marchés publics n'est pas un mode de réparation du préjudice subi par l'inobservation des conditions du cahier des charges mais une peine au sens de l'article 14 de la Constitution qui est dès lors quant à cette mesure applicable à l'article 36,5° de la loi précitée;

Considérant qu'une telle peine ne peut faire l'objet d'un engagement contractuel mais doit être établie par la loi; qu'il s'ensuit que l'article 36,5° de la loi modifiée du 27 juillet 1936 concernant la comptabilité de l'Etat prévoyant, par le biais de cahiers des charges, l'exclusion de la participation aux marchés publics est à déclarer non-conforme à l'article 14 de la Constitution sans qu'il ne soit besoin de répondre à la question additionnelle;


Par ces motifs:

dit que l'article 36,5° de la loi modifiée du 27 juillet 1936 concernant la comptabilité de l'Etat, pour autant qu'il vise l'exclusion de la participation aux marchés publics, n'est pas conforme à l'article 14 de la Constitution;

ordonne que dans les trente jours de son prononcé l'arrêt soit publié au Mémorial, Recueil de législation;

ordonne que l'expédition du présent arrêt soit envoyée par le greffe de la Cour Constitutionnelle au tribunal administratif dont émanait la saisine et qu'une copie certifiée conforme soit envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.

Prononcé en audience publique par Nous Marc Thill, président de la Cour Constitutionnelle, date qu'en tête.

Le Président Le Greffier
Marc Thill Lily Wampach