lundi 25 juin 2007

Arrêt CCLUX 1101

COUR CONSTITUTIONNELLE DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG

Arrêt n° 11/01 du 28.09.2001

Numéro 0011 du registre.

Audience publique du vendredi, vingt-huit septembre deux mille un.

Composition:
  • Monsieur Georges Kill, vice-président,
  • Madame Léa Mousel, conseillère,
  • Madame Andrée Wantz, conseillère,
  • Madame Marion Lanners, conseillère,
  • Monsieur Roland Schmit, conseiller,
  • Madame Lily Wampach, greffier.


Entre
Monsieur Joseph Meyers, cultivateur, demeurant à 25, rue Principale, L-9144 Dellen,
demandeur,
comparant par Maître Jos Stoffel, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg,

et:

l’OFFICE NATIONAL DU REMEMBREMENT, établissement public, établi à L-1528 Luxembourg, 32, boulevard de la Foire, représenté par son président actuellement en fonctions,
défendeur,
comparant par Maître Monique Watgen, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg,


LA COUR CONSTITUTIONNELLE

Vu le jugement rendu le 19 mars 2001 par le juge de paix de Diekirch et transmis au greffe de la Cour
Constitutionnelle le 26 mars 2001.

Ouï la conseillère Andrée Wantz en son rapport et sur les conclusions de Joseph Meyers déposées le 13 avril 2001 et le 23 mai 2001 et sur celles déposées par l’Office National du Remembrement le 26 avril 2001, celles déposées par l’Office National du Remembrement le 18 juin 2001 ayant été déposées hors les délais prévus à l’article 10 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle.

Saisi d’un recours formé par Joseph Meyers contre une décision de l’Office National de Remembrement du 25 septembre 1998, le Juge de Paix de Diekirch a saisi la Cour Constitutionnelle des questions préjudicielles suivantes:

« 1) la loi modifiée du 25 mai 1964 concernant le remembrement des biens ruraux est-elle conforme à l’article 16 de la Constitution?
2) plus spécialement, les articles 6, 7, 24 et 33 de cette même loi, en ce qu’ils prévoient un échange de terres sur base de critères vagues de productivité et seulement en ordre subsidiaire une indemnité de seulement 5% de la valeur en cause, et en ce qu’ils exigent pour qu’une action en justice puisse être déclarée fondée, que la nouvelle situation soit considérablement moins favorable que l’ancienne, sont-ils compatibles avec l’article 16 précité, qui exige à titre de dédommagement une indemnité juste et préalable?
3) l’article 6 de la loi sur le remembrement n’est-il pas, pour la même cause, contraire à l’article 16 de la Constitution en ce qu’il exige la cession d’office et gratuite de la part de particuliers de la surface nécessaire à l’aménagement de chemins, voies d’écoulement et autres ouvrages connexes?
4) plus spécialement, les articles 1er et 20 de la loi sur le remembrement sont-ils conformes à la Constitution en ce qu’ilsprévoient un échange de terres en faveur de particuliers et sur l’accord d’une majorité des propriétaires alors que l’article 16 de la Constitution soumet expressis verbis et exclusivement la privation de la propriété à la cause d’utilité publique à
constater par une loi?»

Considérant que l’article 16 de la Constitution dispose comme suit:
«Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi et moyennant une juste et préalable indemnité.»

Considérant que l’article 16 pose d’une part le principe que le propriétaire ne peut être privé des droits qu’il a sur sa propriété et énonce d’autre part la seule exception à ce principe à savoir la privation de propriété pour cause d’utilité publique dans les conditions prévues par une loi et moyennant une juste et préalable indemnité.

Considérant qu’un remembrement consiste à regrouper des parcelles dispersées de terrains susceptibles d’exploitation agricole, viticole, horticole, arboricole et forestière en des lots mieux concentrés afin d’assurer dans un intérêt général une exploitation plus économique des biens ruraux.
Que la restructuration est obtenue par des échanges de terrains des propriétaires concernés, soit à l’amiable, soit par décision majoritaire des intéressés sous forme de remembrement légal.

Considérant que par cette opération les propriétaires concernés subissent une privation de leur propriété
originaire.

Considérant que le remembrement, dont le but est de servir l’intérêt des propriétaires et ceux de la collectivité dans son ensemble en accroissant la rentabilité des exploitations, constitue une privation de propriété pour une cause d’utilité publique.

Considérant que la procédure de remembrement est organisée par la loi du 25 mai 1964 sur le remembrement qui s’applique au remembrement de toutes les terres visées à l’article 3.

Considérant que l’indemnité prévue par la loi du 25 mai 1964 pour compenser la privation de propriété, consiste à attribuer à celui des propriétaires qui se trouve privé d’une parcelle de sa propriété mise dans le périmètre du remembrement une parcelle d’une valeur équivalente à celle dont il est dépossédé et d’une soulte éventuelle, la valeur des terres échangées étant estimées sur base de critères de productivité objectifs.
Que le paiement d’une soulte n’a qu’un caractère exceptionnel et subsidiaire, le but recherché par le remembrement étant de former des lots adaptés aux façons culturales par des échanges de terrains.
Que la limitation de cette soulte à 5% de la valeur devant être attribuée, sauf accord exprès et écrit des propriétaires intéressés (art. 7,2) constitue une garantie contre la mise en échec du principe de l’échange qui constitue l’essence même de l’opération de remembrement.
Que le prélèvement sans indemnité des terrains d’assiette pour chemins, écoulement d’eau et autres ouvrages connexes est compensé par l’incorporation sans indemnité à la masse des terres à remembrer des chemins, voies d’eau et autres ouvrages existants.
Que l’échange sans indemnité de ces terrains et les travaux d’aménagement y réalisés le cas échéant aux frais des propriétaires eux-mêmes, profitent dans une mesure égale à tous les propriétaires concernés en meme temps qu’à la collectivité.
Que l’indemnité telle que prévue par la loi est juste au sens de l’article 16 de la Constitution.

Considérant que le projet du nouveau lotissement comporte aux termes de l’article 30 un tableau mentionnant pour chaque propriétaire, nu-propriétaire et usufruitier, en regard des inscriptions concernant les anciennes parcelles, celles des nouvelles parcelles qui sont attribuées avec leurs surfaces et valeurs correspondantes, les plus-values et moinsvalues et la soulte et que ce projet fait l’objet d’une enquête et la loi prévoit des procédures de réclamation et des recours.
Que l’indemnité pour privation de propriété dans le cadre d’un remembrement répond donc également aux conditions posées par l’article 16 de la Constitution en ce qu’elle est préalablement fixée.

Considérant que, si l’article 33 de la loi du 25 mai 1964 exige pour qu’un recours contre le projet de remembrement puisse être déclaré justifié, que la nouvelle situation du propriétaire soit considérablement moins favorable que l’ancienne, cette restriction ne relève que de l’appréciation du juge sans pour autant mettre en cause le principe meme du recours.

Par ces motifs:

Dit que la loi du 25 mai 1964 concernant le remembrement des biens ruraux en ses articles 1er, 6, 7, 20, 24 et 33 n’est pas contraire à l’article 16 de la Constitution;

Ordonne que dans les trente jours de son prononcé l’arrêt soit publié au Mémorial, Recueil de législation;
Ordonne que l’expédition du présent arrêt soit envoyée par le greffe de la Cour Constitutionnelle au tribunal de paix dont émanait la saisine et qu’une copie certifiée conforme soit envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.

Prononcé en audience publique par Nous Georges Kill, vice-président de la Cour Constitutionnelle, date qu’en tête.

Le vice-président, Le greffier,
Georges Kill Lily Wampach