COUR CONSTITUTIONNELLE DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG
Arrêt n° 2/98 du 13.11.1998
Numéro 0002 du registre.
Audience publique du vendredi, treize novembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.
Composition:
Marc Thill, président,
Georges Kill, vice-président,
Marc Schlungs, conseiller,
Léa Mousel, conseiller,
Andrée Wantz, conseiller,
Aloyse Pettinger, greffier.
signé: Thill, Pettinger.
Entre:
1) Jeanne Wagner, demeurant à L-1371 Luxembourg, 101, Val Ste Croix,
2) la mineure Jeri Potosino, identifiée dorénavant comme Jil Maricruz Wagner Linden, demeurant à L-1371
Luxembourg, 101, Val Ste Croix, née le 17 octobre 1993 à Ayacucho (Pérou), représentée par son administratrice légale, la partie sub 1),
demanderesses,
comparant par Maître Jean-Paul Noesen, avocat (I), demeurant à Luxembourg,
et:
Monsieur le Procureur d’Etat près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg,
comparant par Monsieur le Procureur Général d’Etat à Luxembourg.
LA COUR CONSTITUTIONNELLE
Vu le jugement n° 385/98 rendu du 1er avril 1998 par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, première chambre et déposé au greffe de la Cour Constitutionnelle le 9 avril 1998;
Vu les conclusions déposées le 8 mai 1998 et le 18 juin 1998 par Maître Jean-Paul Noesen, occupant pour Jeanne Wagner et celles déposées le 18 mai 1998 par Monsieur l’avocat général Georges Wivenes, délégué à ces fins par Monsieur le Procureur général d’Etat;
Vu l’ordonnance de Monsieur le Président de la Cour Constitutionnelle du 18 juin 1998 fixant la composition de la Cour et désignant le conseiller-rapporteur;
Vu la décision de la Cour ayant, hors la présence des parties, fixé l’audience pour le rapport et les plaidoiries au 18 septembre 1998 à 3 heures de relevée;
Ouï le conseiller Marc Schlungs en son rapport et les parties par l’organe de leurs mandataires en leurs conclusions et explications;
Considérant que, saisi de la demande d’exequatur d’un jugement d’adoption plénière rendu le 6 novembre 1996 par le premier tribunal spécialisé de la famille de la province de Huamanga-Ayacucho (Pérou), le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a, par un jugement du 1er avril 1998, soumis à la Cour Constitutionnelle les questions suivantes:
1) La législation relative à l’adoption, plus particulièrement l’article 367 du Code civil permet à un couple marié d’adopter plénièrement un enfant et interdit l’adoption plénière par une personne célibataire. Cette loi est-elle conforme à l’article 11 (3) de la Constitution qui dispose que Çl’Etat garantit les droits naturels de la personne humaine et de la familleÈ et à l’article 11 (2) de la Constitution qui dispose que “Les luxembourgeois sont égaux devant la loi”?
2) Le droit de fonder une famille constitue-t-il un droit naturel de la personne humaine et de la famille?
3) Le droit de fonder une famille adoptive constitue-t-il un droit naturel de la personne humaine et de la famille?
4) Le droit de fonder une famille comporte-t-il le droit de fonder une famille monoparentale?
5) Le droit de fonder une famille constitue-t-il seulement un droit de la personne humaine mariée?
6) Le principe d’égalité devant la loi permet-il d’autoriser l’adoption plénière à des époux mariés à l’exclusion d’une personne celibataire?
7) Les articles 11 (2) et (3) de la Constitution consacrent-ils les droits d’une personne célibataire à une adoption plénière aux mêmes conditions auxquelles sont soumis des époux?
Considérant que le problème de l’éventuelle atteinte à l’ordre public luxembourgeois posé par la demande d’exequatur restera dans le débat devant le juge du fond indépendamment de la présente décision;
Considérant que les questions figurant sous les numéros 2) à 7) dans le dispositif de la décision de renvoi ne remplissent pas les conditions de formulation prescrites à l’article 8, deuxième phrase, de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle;
qu’elles sont partant à écarter;
Considérant que celle posée sub 1) est recevable en la forme comme indiquant avec précision les dispositions legislative et constitutionnelle sur lesquelles elle porte;
Quant à l’article 11 (3) de la Constitution:
Considérant que l’article 11 (3) de la Constitution énonce que l’Etat garantit les droits naturels de la personne humaine et de la famille;
Considérant que le droit naturel est celui découlant de la nature humaine et existe, même sans texte de loi;
qu’appliqué à la famille il comporte le droit à la procréation et à la communauté de vie;
Considérant que parallèlement le législateur a par l’adoption établi une filiation de substitution qui, si elle exige de justes motifs dans le chef des adoptants, doit avant tout présenter des avantages pour l’adopté;
Considérant que cette institution prend son fondement dans le droit positif et non dans le droit naturel; qu’il appartient donc au pouvoir législatif d’y apporter toutes les conditions et limites nécessaires au bon fonctionnement et répondant à l’intérêt de la société et de la famille adoptive;
Quant à l’article 11 (2) de la Constitution:
Considérant que l’article 11 (2) de la Constitution dispose que “tous les Luxembourgeois sont égaux devant la loi”;
Considérant que ce principe constitutionnel, applicable à tout individu touché par la loi luxembourgeoise si les droits de la personnalité sont concernés, ne s’entend pas dans un sens absolu, mais requiert que tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit soient traités de la même façon;
Considérant que la spécificité se justifie si la différence de condition est effective et objective, si elle poursuit un intérêt public et si elle revêt une ampleur raisonnable;
Considérant qu’elle est légitime en l’espèce comme s’appuyant sur une distinction réelle découlant de l’état civil des personnes, sur une garantie accrue au profit de l’adopté par la pluralité des détenteurs de l’autorité parentale dans le chef des gens mariés et sur une proportionnalité raisonnable du fait que l’adoption simple reste ouverte au célibataire dans le respect des exigences de forme et de fond prévues par la loi;
Par ces motifs:
la Cour Constitutionnelle, statuant sur le rapport du conseiller désigné et les conclusions des parties,
déclare irrecevables les questions posées dans le dispositif du jugement de renvoi sous les numéros de 2) à 7);
reçoit celle formulée sous le numéro 1);
dit que l’article 367 du Code civil n’est pas contraire aux articles 11 (2) et 11 (3) de la Constitution;
ordonne que, dans les trente jours de son prononcé, l’arrêt soit publié au Mémorial, Recueil de législation;
ordonne que l’expédition de l’arrêt soit envoyée par le greffe de la Cour Constitutionnelle à la juridiction dont émanait la saisine et que copie certifiée conforme soit envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.
Prononcé en audience publique par Nous, Marc Thill, président de la Cour Constitutionnelle, date qu’en tête.
Le Président Le Greffier
M. Thill A. Pettinger