La Cour constitutionnelle a rendu en date du 8 décembre 2017 un arrêt
dans l'affaire n° 00131 du registre ayant pour objet une question
préjudicielle introduite, conformément à l’article 6 de la loi du 27
juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, par le
tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg, troisième chambre,
suivant jugement du 21 juin 2017, numéro 37869 du rôle, parvenue au
greffe de la Cour constitutionnelle le 26 juin 2017, dans un litige
opposant :
la commune de Leudelange, établie en sa maison communale à L-3361 Leudelange, 5, place des Martyrs, représentée par le collège échevinal,
à
l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, représenté par le ministre d’Etat,
La Cour, composée de
Jean-Claude WIWINIUS, président,
Francis DELAPORTE, vice-président,
Romain LUDOVICY, conseiller,
Nico EDON, conseiller,
Michel REIFFERS, conseiller,
greffier : Lily WAMPACH
Sur le rapport du magistrat délégué et les conclusions déposées au
greffe de la Cour constitutionnelle le 27 septembre 2017 par Maître
Jean-Louis SCHILTZ, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, au nom de
la commune de Leudelange et par Monsieur le délégué du Gouvernement Eric
PRALONG,
ayant entendu Maître Charles HURT, en remplacement de Maître
Jean-Louis SCHILTZ, et Monsieur le délégué du Gouvernement Eric PRALONG
en leurs plaidoiries à l’audience publique du 24 novembre 2017,
rend le présent arrêt :
Considérant qu’il se dégage du jugement de renvoi du 21 juin 2017
qu’après avoir déclaré irrecevable le recours de la commune de
Leudelange pour autant qu’il était dirigé contre la circulaire n° 3344
du 4 février 2016 du ministre de l’Intérieur intitulée « impôt commercial (ICC) – paiement solde 2015 – Retenue à titre de contribution au Fonds pour l’emploi »,
le tribunal administratif a déclaré recevable le recours principal en
réformation pour autant qu’il était dirigé contre la décision n°
V/2016/48 du directeur de l’Administration des Contributions directes du
8 février 2016 concernant la participation de la commune de Leudelange
au produit de l’ICC perçu en 2015 et, au fond, avant tout autre progrès
en cause, a soumis à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle
suivante :
« L’article 8, paragraphe (3) de la loi du 30 juin 1976 en ce
qu’il instaure une contribution supplémentaire enlevant aux communes une
part substantielle de leurs recettes provenant de l’ICC sans pour
autant préciser les modalités de détermination de cette contribution
est-il conforme à l’article 107, paragraphe (1) de la Constitution ? » ;
Considérant que le paragraphe 3 de l’article 8 de la loi modifiée du
30 juin 1976 portant création d’un Fonds pour l’emploi (ci-après « la loi du 30 juin 1976 »),
y ajouté par l’article 14 de la loi du 19 décembre 2014 relative à la
mise en œuvre du paquet d’avenir – première partie (2015), est libellé
comme suit :
« 3. Une contribution supplémentaire d'un maximum de 12 millions
d'euros pour l'ensemble des communes est versée exclusivement par des
communes déterminées au fonds pour l'emploi qui perçoivent des montants
d'impôt commercial dépassant proportionnellement de façon substantielle
la moyenne du pays. Un règlement grand-ducal fixe les modalités de
calcul de la contribution supplémentaire. » ;
Considérant que l’article 107, paragraphe 1, de la Constitution dispose que :
« Les Communes forment des collectivités autonomes, à base
territoriale, possédant la personnalité juridique et gérant par leurs
organes leur patrimoine et leurs intérêts propres. » ;
Considérant que la contribution supplémentaire visée par l’article 8,
paragraphe 3, de la loi du 30 juin 1976 est appelée à provenir
directement de l’impôt commercial communal que perçoivent certaines
communes ;
Que l’impôt commercial est l’un des impôts communaux limitativement
prévus par la loi, dont les dispositions du paragraphe 1 du « Gewerbesteuer-Gesetz (GewStG) » du 1er décembre 1936, tel que maintenu en vigueur par l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944, prévoyant que « Die Gemeinden sind berechtigt, eine Gewerbesteuer als Gemeindesteuer zu erheben. » ;
Considérant que la question préjudicielle, telle que soumise à la
Cour par la juridiction de renvoi, réduit le contrôle à effectuer sur
l’article 8, paragraphe 3, de la loi du 30 juin 1976, qui ne soumet que
certaines communes à la contribution supplémentaire y prévue, en le
limitant à la question de la précision des modalités de détermination de
cette contribution ;
Considérant que la Cour n’est pas saisie de la question de principe
en amont de savoir si, pour une ressource propre d’une commune, tel
l’impôt commercial communal, dont elle peut librement disposer dans
l’exercice de ses compétences d’après les dispositions de l’article 9.1.
de la Charte européenne de l’autonomie locale faite à Strasbourg le 15
octobre 1985, approuvée par la loi du 18 mars 1987 (ci-après « la Charte »),
le législateur peut décider d’affecter à une entité étatique une partie
de l’impôt ainsi perçu dans l’intérêt d’une commune ;
Considérant que la Cour est amenée à appliquer les dispositions de
l’article 107 de la Constitution, et plus particulièrement son
paragraphe 1 consacrant le principe de l’autonomie communale, à l’aune
des dispositions claires et précises de la Charte, en ce qu’elles se
recouvrent avec celles de la Constitution ;
Considérant que le texte de l’article 8, paragraphe 3, de la loi du
30 juin 1976, en ce qu’il vise des communes qui perçoivent des montants
d’impôt commercial communal « dépassant proportionnellement de façon substantielle la moyenne du pays »,
n’est pas précis, ce constat ayant déjà été effectué par le Conseil
d’Etat dans son avis sur le texte du projet de loi (doc. parl. 76222, pp. 18 à 20) qui n’a cependant pas été modifié en conséquence ;
Que l’imprécision est triple en ce qu’il n’est pas énoncé par rapport
à quelles données le dépassement doit être proportionnel, que la notion
de « substantielle » ne se trouve pas autrement cadrée et que « la moyenne du pays » laisse d’indiquer par rapport à quel référentiel celle-ci serait à déterminer ;
Considérant que tant le Conseil d’Etat, dans son avis précité, que le
jugement de renvoi ont conclu à une non-application des dispositions de
l’article 32, paragraphe 3, de la Constitution, la matière n’étant pas
expressément réservée à la loi par la Loi fondamentale ;
Considérant qu’il est constant que la contribution sous analyse est
dite supplémentaire, dès lors qu’il existe, avec intermittences depuis
1976, une contribution actuellement prévue par l’article 8, paragraphe
2, de la loi du 30 juin 1976 qui vise toutes les communes et précise le
taux applicable pour toutes, qui est actuellement de 2 % ;
Considérant que le principe de l’autonomie communale consacré par
l’article 107, paragraphe 1, de la Constitution, dans un esprit de
subsidiarité, en ce que les communes gèrent par leurs organes leur
patrimoine et leurs intérêts propres, emporte une autonomie financière
certaine et suffisante à la lumière de l’article 9.1. de la Charte,
lequel énonce que les collectivités locales ont droit à des ressources
propres suffisantes dont elles peuvent disposer librement dans
l’exercice de leurs compétences ;
Que d’après l’article 9.2. de la Charte, ces ressources financières
doivent être proportionnées aux compétences prévues par la Constitution
ou la loi et d’après l’article 4.4. de la Charte, ces compétences
doivent être normalement pleines et entières et ne peuvent être mises en
cause ou limitées par une autre autorité, centrale ou régionale, que
dans le cadre de la loi ;
Considérant que l’article 107, paragraphe 1, de la Constitution,
ensemble les articles 4.4., 9.1. et 9.2. de la Charte, exigent, pour une
contribution supplémentaire, telle celle sous analyse, ne visant que
certaines communes et provenant d’un impôt communal, que le mécanisme
mis en place soit déterminable à partir du texte de loi sur base de
conditions et modalités suffisamment précises fixées dans la loi ;
Considérant qu’il en suit que l’article 8, paragraphe 3, de la loi du
30 juin 1976, en ce qu’il manque de la précision requise sous les
aspects pertinents, n’est pas conforme à l’article 107, paragraphe 1, de
la Constitution ;
Par ces motifs,
dit que l’article 8, paragraphe 3, de la loi du 30 juin 1976 portant
création d’un Fonds pour l’emploi, y introduit par l’article 14 de la
loi du 19 décembre 2014 relative à la mise en œuvre du paquet d’avenir –
première partie (2015), n’est pas conforme à l’article 107, paragraphe
1, de la Constitution ;
dit que dans les trente jours de son prononcé l’arrêt sera publié au Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg, Mémorial A ;
dit que l’expédition du présent arrêt sera envoyée par le greffe de
la Cour constitutionnelle au tribunal administratif dont émane la
saisine et qu’une copie conforme sera envoyée aux parties en cause
devant cette juridiction.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience
publique par Monsieur le président Jean-Claude WIWINIUS en présence de
Madame le greffier en chef Lily WAMPACH.
Le greffier en chef Le Président
s. Lily WAMPACH s. Jean-Claude WIWINIUS